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La fin d’un cycle

— Puisque je te dis que je ne sais pas d’où je tiens ce sortilège ! Il m’est apparu clairement en tête sous l’effet de la colère, c’est tout ! grondai-je, exaspérée.

J’endurais une migraine atroce et le feu roulant de questions d’Alix me portait dangereusement sur les nerfs. Oui, j’avais provoqué la mort des vouivres et j’en étais sincèrement désolée. Mais mes regrets s’arrêtaient là. Le plus important était que nous étions débarrassés de toutes les autres bestioles. Point à la ligne !

— Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? m’enquis-je, après avoir levé les yeux au ciel.

— Il faut retrouver les enfants. Je ne crois pas que nous puissions retourner sur la Terre des Anciens sans d’abord nous assurer qu’ils sont en sécurité et surveillés de près.

— Tu parles comme si nous ne pouvions pas les éliminer sans autre forme de procès…

— Mais c’est le cas, si ce sont des Filles de Lune ! Jusqu’à l’âge de seize ans, les Filles d’Alana sont sous la protection de la déesse et ne peuvent être mises à mort…

— Non seulement, je n’en voulais pas, mais en plus je ne peux pas m’en débarrasser ! grinçai-je.

Je m’apprêtais à demander comment nous allions nous y prendre pour retrouver ces horribles enfants dans un monde que nous ne connaissions point quand des exclamations étonnées me parvinrent. Je me retournai pour voir une bonne douzaine de vouivres au sommet de la crête jouxtant le marais. La première surprise passée, elles tentèrent de nous rejoindre. Un curieux phénomène se produisit alors. À peine l’une d’elles franchit-elle la limite des marécages que des centaines de pieux commencèrent à émerger de la gangue boueuse, formant bientôt une palissade infranchissable. Probablement un système de protection mis en place par les sorcières d’eau. D’un accord tacite, nous disparûmes, Alix et moi, pour reparaître au sommet de la colline.

* *

*

Une discussion animée suivit notre arrivée près des vouivres venues en renfort à Circa. De longues explications avaient été données de part et d’autre. Les vouivres réagirent fortement à l’annonce de la mort de trois des leurs. Elles insistèrent pour se rendre sur les lieux en volant. Trois messagères revinrent bientôt et déposèrent dans la main de celle qui devait être leur dirigeante deux grenats étincelants. Une grave discussion s’ensuivit. Un grenat manquait à l’appel. Je tournai vers Alix un regard interrogateur auquel il répondit par un haussement d’épaules nonchalant.

— Cette histoire ne nous concerne pas. Nous avons suffisamment d’ennuis sans nous mêler des affaires des autres.

Il n’avait pas tort. Nous attendîmes donc qu’elles aient terminé.

* *

*

Une heure plus tard, nous étions sur l’île de Rajvol. Déserte et entourée de récifs, elle surplombait le royaume des sirènes. C’est là que les vouivres avaient conduit mes filles après leur naissance. J’allais devoir m’y rendre seule puisque Alix n’avait pas la possibilité de se transformer. Il m’avait raconté sa mésaventure lors de son arrivée, ignorant ce qui lui avait finalement sauvé la vie, et n’avait nulle envie de tenter l’expérience à nouveau.

* *

*

Laissé seul sur le rivage sablonneux, Alix poussa un soupir de soulagement. Il n’en pouvait tout simplement plus de garder un visage impassible alors qu’une douleur insoutenable vrillait son corps entier. Dès que les vouivres, la représentante des sirènes venue les accueillir et Naïla eurent disparu sous l’eau, le Cyldias vomit sur la plage. Il était victime de plus en plus souvent de vagues successives de douleurs lancinantes, de maux de tête persistants, de même que de subtils changements qu’il ne parvenait pas à s’expliquer. En cellule temporelle, il avait dû déployer des efforts inimaginables pour que Naïla ne se rende compte de rien. Son corps semblait sous l’emprise de profondes modifications, comme si on lui avait jeté un puissant sortilège de mutation.

Il se souvenait fort bien d’avoir expérimenté un sortilège de ce genre quand il était gamin et les résultats n’avaient pas été des plus heureux. Il s’était senti mal pendant de longues semaines et il avait fallu l’intervention de Mélijna pour inverser le processus et éviter qu’il ne finisse ses jours dans la peau d’un magnifique mouton angora. Cette pensée lui arracha un faible sourire entre deux nausées. Vivement qu’il puisse revenir sur la Terre des Anciens pour demander l’avis de Foch sur ce qui lui arrivait. Au souvenir de son vieil ami, il plongea la main dans sa poche pour la dixième fois au moins depuis que la sirène envoyée à leur rencontre lui avait remis les écailles qu’il lui avait demandées. Il avait le précieux ingrédient sollicité par Foch pour la potion de Vidas. Épuisé, le jeune homme s’endormit sur la plage, sous le couvert de l’invisibilité. Si quelqu’un avait survolé l’île pendant son sommeil, il aurait remarqué d’étranges lueurs émanant de l’endroit où Alix reposait, bien que son corps ne soit pas visible…

* *

*

Dans son antre, Solianne observait son fils en mutation. Elle ne se réjouissait plus autant, par contre. Jamais le jeune homme n’aurait dû subir autant d’effets secondaires. Bien qu’elle sache que ce genre de transformation n’allait pas sans pleurs ni grincements de dents, et s’étalait sur une très longue période, elle n’avait jamais entendu dire que les douleurs fussent récurrentes, s’intensifiant même jusqu’à devenir insoutenables. Après tout, Alix ne passait pas d’une forme humaine à une forme animale ou inanimée, ce qui aurait pu causer de tels effets. Elle allait devoir faire des recherches. Quant aux filles que la jeune Naïla avait mises au monde, Solianne avait seize ans pour trouver une solution définitive.

* *

*

La sensation de l’eau circulant librement dans mes poumons me fascinait. Dieu que j’aurais aimé pouvoir m’attarder à la transformation que mon corps subissait dès que je pénétrais dans l’eau de Mésa. Alors que je nageais à l’aide de la longue queue – aujourd’hui dorée – que je traînais derrière moi, je m’extasiais silencieusement sur le paysage à couper le souffle. Autour de moi, des algues géantes se balançaient au gré des courants ; des milliers de poissons de toutes les formes, tailles et couleurs nageaient, se pourchassaient, fuyaient. Un fond couvert de sable et de galets, des coquillages aux mille formes, des centaines de petites créatures plus bizarres les unes que les autres, tout cela m’étourdissait et je n’avais pas la moindre seconde pour admirer ces merveilles.

Nous entrâmes bientôt par le portail en corail, nageâmes quelques minutes encore sous le regard mi-curieux, mi-inquiet des habitants de la cité et franchîmes finalement les portes d’un palais aux dimensions modestes. Bien encadrée par les vouivres, je m’immobilisai au pied des marches conduisant à la souveraine.

Magnifique sirène aux longs cheveux aquamarine, au visage délicat et à la queue d’un bleu marine profond, elle me sourit d’emblée. Mise au fait des derniers événements, la reine transmit ses condoléances aux vouivres pour la perte de trois des leurs. Sachant que je disposais de peu de temps et que mon Cyldias m’attendait sur la plage, la reine m’amena sans délai dans une pièce reculée du palais. En chemin, elle me proposa de veiller aux soins et à l’éducation de mes jumelles jusqu’à ce qu’elles aient l’âge de commencer leur entraînement de Filles de Lune. Surprise, je lui demandai pourquoi elle me rendrait cet immense service. Elle m’expliqua que sa cité était l’un des endroits les plus inaccessibles de l’univers de Darius, que sous la forme de sirènes mes filles mettraient des années avant de découvrir leur origine véritable, que le fait que j’aie accouché ici avait certainement une signification cachée et, argument ultime, je ne pouvais tout simplement pas envisager de voyager avec des nourrissons. Elle fit alors apparaître un parchemin sur lequel étaient inscrites les principales clauses de cette garde. Je signai avec soulagement, sachant d’instinct que c’était la meilleure solution. Mes jumelles seraient élevées loin des regards indiscrets et bien peu de gens seraient au fait de leur existence. Serait-ce suffisant jusqu’à ce que nous trouvions comment régler le problème qu’elles posaient ? Je l’espérais. Quelques instants plus tard, nous entrâmes dans la chambre des enfants.

Là, blotties dans deux coquillages, dormaient mes filles. Je m’approchai lentement, soudain curieuse. Je fixai les poupons d’un œil froid. D’abord, je n’éprouvai absolument rien. Puis une étrange sensation s’empara de moi, une envie irrésistible de tordre le cou de ces êtres que j’avais mis au monde sans le vouloir. Je dus faire des efforts surhumains pour juguler les pulsions destructrices qui menaçaient de me submerger, me poussant au meurtre. Inconsciemment, puis consciemment, je tentai de prendre la dague d’Alana que je passais habituellement dans la ceinture de ma jupe, mais j’en fus incapable. L’arme semblait s’être fondue à même les écailles de ma queue, processus génial pour que je ne la perde pas, mais combien désagréable en cas de besoin. Il n’y avait pourtant pas d’autre façon de tuer ces monstres qu’en leur enfonçant la dague en plein cœur. À cet instant, j’étais convaincue que c’était ce qu’elles allaient devenir : des monstres. Une main ferme se posa alors sur mon épaule, m’obligeant à détourner les yeux un instant :

— Vous ne pouvez rien faire pour le moment. Je comprends votre désir puisque j’ai aussi perçu l’aura de ces enfants, mais il vous faudra attendre qu’elles soient en âge de se défendre pour les éliminer. Voilà pourquoi elles doivent rester loin de vous jusqu’à ce jour. Vous avez des choses plus urgentes à accomplir. Qui sait ? Peut-être trouverez-vous entretemps une solution moins radicale que cette terrible extrémité…

Consciente que la reine ne connaissait pas l’utilité de la dague d’Alana et que j’avais beaucoup de temps devant moi, je hochai la tête. Je me tournai pour regarder une dernière fois ces enfants que je ne pourrais jamais aimer. L’image de ma fille Alicia s’imposa alors à mon esprit avec une telle force que je fermai les yeux. J’avais perdu une enfant que j’avais aimée de tout mon cœur et tout ce que la vie m’offrait en échange, c’était une haine viscérale. Quelle cruauté ! Sous mes paupières closes, les larmes glissèrent doucement pour se mêler à l’eau de mer, me laissant un arrière-goût amer. Plusieurs minutes me furent nécessaires pour chasser de mon esprit la sarabande de souvenirs qui avaient refait surface…

Quand je jetai enfin un œil aux jumelles, je remarquai quelque chose d’insolite. Quelque chose qui allait me marquer à jamais et me hanterait périodiquement pendant le reste de mes jours. Dormant sans couvertures, mes filles remuaient à peine. Lorsque l’une d’elles bougea la tête, l’autre en fit autant dans la seconde qui suivit et vice versa quand la deuxième remua la queue. Je fronçai les sourcils. Examinant attentivement l’un des bébés, dans l’attente d’un nouveau mouvement, j’écarquillai les yeux de stupéfaction. La moitié du corps du poupon semblait translucide, même la queue. Je fermai les yeux et hochai la tête, incrédule. Je les rouvris et regardai à nouveau. Après quelques secondes d’attention soutenue, je dus me rendre à l’évidence : je n’hallucinais pas ! Curieuse, je fixai la deuxième jumelle. Même phénomène, à la différence près que ce n’était pas le même côté du corps qui devenait translucide. Une idée effroyable me traversa alors l’esprit : j’avais mis au monde une seule enfant à deux têtes et chaque moitié avait décidé de vivre indépendante l’une de l’autre ! Je découvrirais bien plus tard que c’était pourtant la triste vérité…

La reine des sirènes me confirma avoir elle aussi observé ce « prodige », mais elle me rassura : bien peu d’êtres étaient capables de discerner cela. Par ailleurs, mes filles le dissimulaient déjà de magistrale façon en rendant réaliste leur moitié translucide. Je n’étais toutefois pas certaine que ce dernier détail soit une bonne nouvelle. Si elles pouvaient faire de la magie de ce niveau à cet âge, qu’est-ce que ce serait plus tard ?

 

* *

*

 

Je refis surface plusieurs heures après avoir quitté Alix. Je repérai magiquement mon Cyldias dès ma sortie de l’eau. La douleur première causée par la mutation de mes jambes était maintenant plus supportable. Les vouivres m’avaient affirmé que ce serait de moins en moins pire chaque fois. Je ne m’en plaindrais pas !

— Il ne reste plus qu’à rentrer pour affronter l’avenir…

J’avais prononcé ces mots à mi-voix, encore effrayée par ce qu’ils impliquaient. Même si je me sentais plus en confiance et que je maîtrisais beaucoup mieux mes pouvoirs, il n’en demeurait pas moins que l’insécurité m’habitait encore. Et que dire de cette fichue réplique du talisman de Maxandre que je portais au cou. Rien que le fait de penser que j’allais devoir essayer de récupérer ce bijou alors que la traversée était déjà pénible en elle-même…

— Ce sera ta dernière chance de le récupérer…

Je sursautai. Je savais qu’Alix ne dormait pas, mais je ne croyais pas qu’il puisse lire dans mes pensées.

— Facile de savoir à quoi tu penses : ta main est crispée sur le pendentif à t’en blanchir les jointures, lança-t-il, un brin insolent.

Je lâchai le médaillon sur-le-champ, comme si son contact m’était soudain devenu insupportable.

— Je sais que ce sera ma dernière chance. Et c’est bien ce qui m’inquiète ! avouai-je avec franchise.

— Tu crois être en mesure de retrouver le passage par lequel nous sommes arrivés ? s’enquit Alix, changeant délibérément de sujet.

— Je l’ignore. Je n’ai pas la moindre idée de la façon dont je suis censée m’y prendre pour repérer un passage. Je me demande…

Songeuse, je fermai les yeux, m’obligeant à faire le vide. Puis, sans un mot, je retournai vers l’océan et y plongeai. Une fois sous l’eau, je serrai dans ma main la réplique du talisman de Maxandre et attendit. J’étais pratiquement convaincue que ce bijou, puisqu’il n’était qu’une copie, pouvait me conduire à l’original. Je fermai les yeux de nouveau, attendant qu’une quelconque vision se manifeste dans mon esprit. Il suffit de quelques minutes pour que différents paysages s’imposent en rafale. Je constatai rapidement que tous se trouvaient sous l’eau. Je sortis et, devant le regard interrogateur de mon Cyldias, je mis un doigt sur mes lèvres avant de répéter mon expérience. Cette fois, un seul endroit m’apparut, sur la terre ferme : une espèce de petite mare envahie par la végétation. J’avais donc vu juste. Selon l’élément, la terre, l’eau – et peut-être même le feu et l’air –, je pouvais trouver les passages en me servant du talisman. Je confiai ma trouvaille à Alix.

— Je préfère la terre ferme, histoire de ne pas risquer la noyade comme la dernière fois, commenta-t-il, renfrogné.

— Le seul hic, c’est que tu ne peux pas t’y rendre magiquement si tu n’y es jamais allé, c’est ça ? demandai-je, flairant un nouvel obstacle.

Il répondit d’un hochement de tête, toujours maussade. Pour une fois, le problème, c’était lui, pas moi. Douce vengeance…

— C’est loin d’ici ?

Je me mordis la lèvre inférieure, soudain embarrassée. Même si j’avais vu les lieux, je n’avais pas la moindre idée de l’endroit où c’était. Une idée m’effleurant l’esprit, je m’enquis :

— Est-ce que ma magie me permet, à l’instar de Mélijna, de conduire quelqu’un jusqu’à moi ? Je veux dire : comme cette sorcière l’a fait pour toi quelques jours après mon arrivée sur la Terre des Anciens…

Les lèvres d’Alix s’étirèrent sur un magnifique sourire, découvrant ses canines indisciplinées et provoquant en moi une bouffée de chaleur importune. Il ne souriait pas assez souvent…

— Probablement. C’était l’un des premiers enseignements que l’on donnait aux Filles de Lune parce qu’il leur permettait de ramener à elles les êtres qu’elles surprenaient à tenter de traverser et qui s’enfuyaient magiquement. Je présume que cette magie vous est maintenant donnée au Sanctuaire de la Montagne aux Sacrifices puisque les Sages ne sont plus là pour l’enseigner et que le principe est extrêmement Simple : pas de formule, pas d’incantations ni de potion, juste la force de la pensée visuelle et du désir. De toute façon, on n’a guère d’autre choix…Vivement que l’on disparaisse sans laisser de traces…

Il avait raison. Nous convînmes de partir peu après l’aube.

* *

*

J’ouvris les yeux dès le lever du jour. J’avais très mal dormi. Les nuits étaient chaudes et humides sur Mésa, rendant le sommeil inconfortable. J’avais sommeillé sur ma couverture, me retournant des dizaines de fois, incommodée par des insectes qui vivaient probablement sous le sable. Je réfrénai mon envie de plonger pour me rafraîchir, craignant de me transformer alors que je n’en avais pas besoin. Épineux problème que je devrais éclaircir avec Morgana si je revenais vivante.

Après un bref échange, il fut décidé que je partirais et rapatrierais mon Cyldias aussitôt sur place. Concentrée sur l’image dans ma mémoire, une main refermée sur le pendentif, je disparus pour reparaître en plein centre d’une clairière. Comme je n’avais préalablement visualisé que la mare, je ne m’attendais pas à me retrouver en plein cœur d’une nouvelle communauté de sorcières d’eau. Tandis que j’imposais le visage de mon Cyldias à mon esprit tourmenté par la vision de ces horreurs synonymes de graves problèmes, elles sortaient de leurs masures. Tout se passa alors très vite.

Je reçus un premier sortilège en pleine poitrine, reculant sous le choc. Je n’étais alors qu’à quelques mètres de l’étang. Je ripostai de mon mieux, compte tenu de mon énervement. Je n’avais pas encore vu Alix se matérialiser et je peinais à maintenir mon désir de le faire venir à moi tout en me défendant. Je réussis à atteindre deux de ces horribles femmes, mais une douleur au flanc droit me fit tourner la tête, en cherchant la provenance. Je tentai de neutraliser la sorcière qui se trouvait non loin de moi, mais je savais d’ores et déjà que je ne serais pas de taille seule. À ce moment, je reçus trois décharges magiques en même temps. Une étrange sensation se répandit dans mes membres, qui me donnèrent dès lors l’impression de me figer lentement. Je ne pourrais bientôt plus bouger. Pendant que je lançais un ultime sortilège avant que mes doigts refusent de répondre à mon cerveau, je vis Alix apparaître à mes côtés. À la vue du spectacle, sa surprise fut totale. Il se reprit rapidement mais un sortilège l’atteignit alors qu’il se plaçait devant moi. Il recula par réflexe, me poussant ainsi à la renverse puisque je n’avais plus le plein usage de mes membres. Je basculai dans l’étang.

Des cris de rage me parvinrent comme je touchais l’eau. Au contact de l’élément liquide, les effets du sortilège se dissipèrent instantanément et je m’enfonçai dans le néant. Je compris trop tard que je venais de franchir le passage…

 

* *

*

 

Dès qu’Alix vit les traits des sorcières d’eau se décomposer sous l’effet de la fureur, il comprit que Naïla venait de partir. Sans plus attendre, il recula de quelques pas et se laissa lui aussi tomber à la renverse…

 

* *

*

 

— Le talisman, le talisman, le talisman, le talisman, le talisman…

Je n’entendais que cette litanie dans mon esprit en effervescence. Je savais que c’était probablement ma seule chance de mettre la main sur le précieux pendentif. Dans l’obscurité la plus totale, j’essayais de me maîtriser de mon mieux, réfrénant mon angoisse et tentant de faire abstraction de la pression douloureuse qui s’exerçait sur mon corps. Je regardais autour de moi avec frénésie. Intuitivement, je refermai la main sur la réplique qui pendait à mon cou, espérant que quelque chose se passe et vite, craignant de m’évanouir bientôt.

Je vis enfin le talisman devant moi, suspendu dans l’infini de l’espace, et je tendis une main pour le saisir. À ce moment, la pression devint insupportable. Je perdis conscience alors même que mes doigts se refermaient sur le précieux talisman de Maxandre…

 

* *

*

 

Alix ouvrit les yeux. Couché sur le dos, il remarqua d’abord que le ciel était d’un noir d’encre. Sa connaissance magique des rouages du temps l’informa qu’il était au beau milieu de la nuit. Son réflexe suivant fut de chercher l’empreinte de Naïla autour de lui à l’aide de ses sens. Il la repéra à quelques mètres… C’était déjà ça. Il fallait maintenant qu’ils se déplacent rapidement en lieu sûr, idéalement chez Morgana, où Mélijna ne pourrait pas repérer Naïla. Plus tard, le Cyldias s’ingénierait à trouver le moyen de rendre la jeune femme indécelable pour tous, y compris les Filles de Lune maudites : Pour l’heure, il créa une cellule temporelle englobant Naïla, afin qu’ils échappent à toute recherche.

Quitte à en subir les conséquences…

 

* *

*

 

Alix ne trouvait Naïla nulle part. Nyctalope depuis toujours, il ne pouvait pas ne pas la voir. Elle aurait dû être là, à trois ou quatre mètres de lui. Mais voilà, il n’y avait strictement personne. Pas la moindre trace d’un corps. Ça n’avait aucun sens ! Il percevait pourtant l’essence de la jeune femme autour de lui, comme une aura. Il sonda à nouveau les environs. Il n’y avait nulle part où se cacher, pas la moindre cavité naturelle, la plus petite forêt ou habitation, rien. Que la plaine aride à l’infini et un étang incongru dans ce désert – que le Cyldias présuma semblable à celui dans lequel il s’était laissé tomber sur Mésa. Si au moins il savait où il se trouvait ! Il hocha la tête. Ça ne changerait rien puisque la Fille de Lune aurait dû être là…

Concentré à s’en rendre malade, Alix cherchait l’endroit exact qui lui donnait l’impression que la jeune femme était présente. Il s’arrêta pile sur l’emplacement, mais ne vit rien. Toujours rien. De colère et de frustration, il flanqua un coup de pied dans l’un des innombrables monticules de sable qui jalonnaient les environs. Son geste impulsif mit au jour un curieux objet. Alix se pencha pour le ramasser, son cœur battant la chamade. Ce qui lui traversa alors l’esprit le remplit d’une angoisse comme il n’en avait jamais ressenti. Naïla ne pouvait pas être morte en traversant ! Pas une femme de sa puissance ! Et pourtant…

À sa mort, chaque Fille de Lune, peu importe sa puissance, son vécu, ses épreuves et ses connaissances, laisse derrière elle un talisman contenant l’ensemble de ce qu’elle a été. À n’en pas douter, c’était le médaillon de Naïla qui reposait dans sa paume soudain glacée.

La colère qui l’envahit atteignit des sommets jusqu’alors inégalés. Les yeux levés vers le ciel, il maudit Alana de toutes ses forces, convaincu qu’elle aurait pu éviter ce drame et ce qu’il impliquait. Fulgurante, la rage se propagea à tout son corps, se mélangeant à une indicible tristesse. Le caractère immuable de sa découverte lui arracha un hurlement de bête blessée à mort.

C’est à ce moment que se brisèrent en lui les dernières résistances face à la mutation qui s’opérait depuis plusieurs semaines déjà, la complétant enfin. La douleur fut telle qu’il tomba à genoux et se replia sur lui-même, incapable de crier sa détresse. Insoutenable, le mal lui fit monter les larmes aux yeux et comprima sa poitrine, l’empêchant de respirer. Il crut que la mort de Naïla avait sonné sa propre fin. Il n’avait pourtant pas besoin de cette extrémité pour accepter ce qu’il avait mis si longtemps à s’avouer. Il était malheureusement trop tard quand le Je t’aime tant attendu mourut sur ses lèvres alors qu’il serrait, à s’en blanchir les jointures, le talisman de sa Fille de Lune…

 

* *

*

 

Sur la plaine, à des milliers de kilomètres d’Alix, tandis que les troupes avançaient à pas de tortue sous le soleil encore vif d’une fin d’après-midi, les nuages apparurent brusquement, obscurcissant le ciel en quelques minutes à peine. Des éclairs zébrèrent l’horizon et le tonnerre gronda. Alejandre tomba subitement de cheval. La douleur fulgurante qui l’assaillit lui fit perdre tous ses moyens. Il se recroquevilla, le corps secoué de spasmes. Ses compagnons les plus proches se mirent instantanément à la recherche de l’un des cinq guérisseurs qui suivaient les hommes dans leur périple hasardeux.

Le premier qui se présenta se révéla impuissant. Il ne parvenait pas à cerner la source du mal qui affectait le sire de Canac. Il n’y avait ni blessure apparente ni maladie reconnaissable. Par contre, il sentit une étrange énergie circuler dans le corps d’Alejandre, une énergie destructrice et malsaine, voire effrayante. Mais le guérisseur n’était pas le seul à percevoir ce changement.

 

* *

*

 

Roderick, qui espionnait Alejandre, comprit pour sa part qu’il était trop tard pour ravir l’incroyable puissance d’Alexis. Il allait devoir changer ses plans. Mais seulement quand il aurait calmé la rage incommensurable qui palpitait actuellement dans ses veines. Il préféra disparaître.

 

* *

*

 

Madox, qui ne se tenait jamais loin du frère d’Alix, retint difficilement le chapelet de jurons qui lui monta aux lèvres. L’aura magique que dégageait maintenant cet imbécile aurait fait frémir même son horreur de sorcière…

 

* *

*

 

Alana, depuis sa voûte céleste, et Solianne, au-dessus de son chaudron, étaient toutes deux consternées. Tandis que la mutation d’Alix donnait le premier Sage d’Exception depuis des siècles, promettant de grandes réalisations, la rupture du sortilège de Dissim dans le corps d’Alejandre annonçait un nouveau calvaire…

 

Le talisman de Maxandre
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